Le rap, le vrai, le voici : IAM L’Ecole du Micro d’Argent

Bijoux du rap français, élevé au rang de meilleur album par de nombreux amateurs, ce produit artistique peut se réduire comme étant l’album le plus à même d’illustrer la définition du rap : entre poésie engagée et flow culturel, on atteint réellement le parfait mélange, quasi-alchimique, transformant pléthore de faits sociaux en un médium fraternel, où même les profanes s’y reconnaissent. A lire, mais avant tout, à écouter. Liens en bas de page.iam

Révélé au monde par le pied de nez «Le Mia» en 1993, single dénaturé issu du déjà excellent ombre Est Lumière, IAM revient sur le devant de la scène en 1997, avec un album qui restera  comme une référence dans le paysage rap français. Il y a eu un avant, il y aura un après l’Ecole Du Micro D’Argent. L’âge d’or du rap made in France, made in Marseille plus précisément ici, l’avènement d’un rap «conscient» et «intelligent». L’impact de cet album va être considérable sur toute une génération née pendant les années 1980, dépassant de très loin le cercle des  amateurs de rap.

L’Ecole Du Micro D’Argent sort donc en avril 1997 tandis que Chirac dissout l’assemblée, cinq ans jour pour jour avant la honte, alors que le feu de paille Black Blanc Beurre de 98 n’a pas encore pris. Cet album, le troisième du collectif marseillais, apparaît comme l’un des plus complets jamais réalisés. La classe des instrus se mêle à la justesse des textes. Tout les styles d’écriture sont passés au crible, avec succès en plus… de profondes réflexions à un humour certain, introspection, égotrip, constat sans appel des dérives de leurs temps, et ce quelque chose d’une prophétie, que seule ceux qui savent et comprennent sont capables d’anticiper. IAM impose ses figures de style, sa rhétorique, sans prétention, mais avec sincérité, posées sur des samples scientifiquement sélectionnés et des scratchs léchés et précis, sous les influences multiples des univers culturels des différents protagonistes du groupes (cinéma, mythologie égyptienne toujours mais aussi asiatique…).

Les «6 guerriers d’apocalypse» (Akhenaton, Shurik’n, Freeman, Kheops, Imhoptep et Kephren) partent en conquête, armés jusqu’aux dents de leur talent respectif, un collectif complet, soudé, métissé, à l’assaut des rimes faciles et du déjà entendues. Victoire de la Musique 1998 du meilleur album, à l’époque ou le rap n’était pas encore ghettoïsé, lui aussi, dans une catégorie musique urbaine prompte à marginaliser les différences, disque de diamant (plus d’un million d’albums vendus !), et des refrains à jamais dans la mémoire collective. L’Ecole Du Micro D’Argent en impose, aujourd’hui encore sous les Pyramides de Guizèh, on entend l’orchestre traditionnel du Caire rejouer le sample légendaire de Petit Frère.


  1. L’école du micro d’argent
    Chanson titre de l’album, elle en est l’introduction cash, qui annonce la couleur. IAM monte au front, avec l’envie de n’épargnez personne. Ses deux «têtes» en première ligne, Akhenaton et Shurik’n, aiguisent leurs rimes sur fond de grandes batailles médiévales, amorçant le raz de marée IAM sur une génération entière «Notre bannière flotte au sommet du tsunami». Les références fusent, et les deux MCs y excellent. (Tout l’artwork de l’album est basé sur cette
    métaphore des guerriers partant en conquêtes).
  2. Dangereux
    «Placer un miroir en face des gens, ça, ça les dérange».Dangereux pose une question, de
    celui qui relate fidèlement ce qu’il voit ou de celui qui est responsable de ce qui se passe, qui est le plus dangereux? «Un haut-parleur trop souvent placé au centre du viseur». Shurik’n et Akhenaton s’interroge sur l’image que l’on donne d’eux, des perturbateurs, violents, responsables des problèmes sociaux quand ils ne sont que les révélateurs d’un véritable malaise. «Je voudrais faire le bien et rien d’autre, mais pour eux je suis un mouton galeux… un mec dangereux».
  3. Né sous la même étoile
    Gros titre. Refrain efficace. «La vie est belle, le destin s’en écarte, personne ne joue avec les mêmes cartes, le berceau lève le voile, multiples sont les routes qu’il dévoile… tant pis… on n’est pas né sous la même étoile». La mise en parallèle de deux mondes, deux univers aux antipodes l’un de l’autre, deux France, comparaison génératrice de jaloux, créatrice d’envieux, sublimant des frustrations, le cri d’un homme qui ne comprend pas pourquoi il est né de ce coté là. «Je ne serais pas comme ça, si j’avais vu la vie riche».  Le clip de Né Sous La Même Etoile
  1. La saga (feat. Timbo King, Dreddy Krueger & Prodigal Sunn)
    La saga s’impose. La présence du Wu Tang agrémente cette authenticité et crédibilise  l’égotrip, La Saga est lancé, et ne s’arrêtera pas là. Premier single à voir le jour, ce titre bénéficie d’un excellent clip (en diptique avec L’empire Du Coté Obscur). IAM avance avec assurance et serénité, “fort des ses expériences passées” et l’album commence à résonner de plus en plus fort. “from Medina to Marseille… Marseille, Marseille”… (À noter l’excellent “Noir Chateau Remix”, trouvable sur le Maxi La Saga).
    Le clip de La Saga
  2. Petit frère
    La chanson d’une génération. Des paroles simplement touchantes, descriptions millimétrés d’adolescences en perdition, de jeunes qui grandissent en suivant les mauvais exemples, les mauvais repères. Constat accablant, presque résigné, devant ce gâchis, ce que devient  l’innocence de nos enfants devant le révélateur d’une intégration manquée d’avance, d’une jeunesse éloignée du vrai, dans le faux des apparences, matérialisme et consommation. N’allons pas trop loin non plus, ce texte est une peinture sociale, pas un programme politique.
    Le clip de Petit Frère
  3. Elle donne son corps avant son nom
    A titre personnel, après 10 ans d’écoute, c’est peut être la (ma) seule déception d’album. IAM ne colle pas à la thématique, au sujet de cette chanson, ils ne sont simplement pas faits pour parler de pute. Ton léger, grivoiseries approximatives, si vous devez en zapper une, ce serait celle ci. Tout de même écoutable, cette chanson vous servira à reposer vos neurones quelques minutes avant de se replonger dans l’univers très riche de cet album… et des merveilles à venir.
  4. L’empire du coté obscur
    Que dire… Un monument. Des flows impeccablement placés, une atmosphère mystique, avec toute la profondeur que les multiples sens que la métaphore Star Wars leur permet. IAM revient sur la dualité clair/obscur déjà entraperçue dans certaines productions précédentes (par exempleC’est Clair Je Suis Sombre sur Ombre est Lumière) mais ne se pose pas comme fleuron de la “lumière” mais plutôt comme les apôtres de l’underground, IAM comme “soldat le plus dur de l’empire du coté obscur” en se référant au seigneur sith Dark Vador, noir héros de l’œuvre de Georges Lucas, sans doute le plus grand “méchant” de l’histoire du cinéma. Shurik’n d’abord, et Akhenaton ensuite, s’en donnent à cœur joie pour animer de leur voix batailles intergalactiques, chasses à l’ewoks et guerres psychologiques, la balance entre le clair et l’obscur n’a pas fini de vaciller, à vous de choisir votre coté. (À noter que la première version de cette chanson, basée sur des samples extraits directement des films Star Wars, n’ait jamais sorti suite au refus de Lucas Arts de céder ses droits sur les musiques prélevées).
    Le clip de L’Empire Du Coté Obscur
  5. Regarde
    “Au royaume animal, le lion est roi, l’homme devient fou”… Regarde la réalité, là en face de toi, cette humanité déshumanisé qui cherche des prétextes pour excuser ses fautes. IAM ne pardonne pas, il observe, analyse et porte l’estocade “Il y eut la peste, le sida frappe très fort, Mais la connerie humaine a toujours battu tous les records”. Chanson poignante, ambiance grave, presque sérieuse, dégoutée, un beat funéraire qui laisse place à l’horreur encore à venir. “Je lâche cette bombe et qu’elle pète dans leurs cocktails”.
  1. L’enfer (feat. East, Fabe & Rahzel)
    “L’enfer c’est les autres”. Jean Paul Sartre ? Non, Shurik’n. Une merveille. Avec Fabe et le regretté East (qui pose ici à titre posthume grâce à Cut Killer), IAM nous livre l’un de ses tous meilleurs morceaux. “Une partie de la jeunesse n’a presque rien ou si peu, quand tu retournes tes poches la poussière te pique les yeux”. Une rythmique sonnante et trébuchante, où les MCs excellent, se défient du regard, la pression monte entre bande rivale, les yeux se plissent, se jaugent, avant de pleurer les victimes. Un nouveau tour de boucle, en attendant le suivant, pour une réputation, un mot un peu trop haut. “Cette fois il a raison, l’enfer, c’est les autres”
  1. Quand tu allais
    Mélangez humour et égotrip dans une casserole à feu doux, saupoudrées de mythologie asiatique et d’inspirations métaphoriques euphoriques. IAM découpe sévère, et j’adhère. “Je pratiquais alors que tu n’étais qu’un enfant, soit tu as vu des choses, je les ai vues 2000 ans avant” Paroles de Chill. Bons mots et provoc’ bon esprit, IAM place ces rimes comme se sont battus les illustres ancêtres d’une civilisation sur le déclin, jadis resplendissent. IAM hache les copieurs, les pseudos fleurons du rap tout juste nés de la dernière pluie.
  1. Chez le Mac
    Toujours dans la veine égotrip, le mac et son “harem” de lettres, dociles, à ses pieds, prêtes à se soumettre à ses multiples volontés, aussi fantasques soient elles.”Les consonnes, les voyelles, sont toutes à quatre pattes”. IAM règne sur son territoire/vocabulaire et envoie ses lettres sur le trottoir, les plus méritantes finiront dans des phrases, pour l’élite c’est le couplet, “top dans mon carnet”, Akhenaton et Shurik’n diversifie leur offre de rimes “On y trouve des plates, des croisées, des embrassées” et s’ouvrent aux nouveaux marchés. “J’ai mis les mots au tapin pour la sensation, au trottoir les syllabes, prostitué la diction”.
  1. Un bon son brut pour les truands
    L’univers de Sergio Leone condensée dans une chanson. Blondin (Kheops) aux platines, Shurik’n, Freeman pour sa première au micro avec le groupe, Akhenaton en Sentenza nous ponde Un Bon Son Brut Pour Les Truands sorti de derrière la plus vieille tombe du cimetière de Sad Hill. On ressent le vent, fier et arrogant, des plaines de l’Ouest, les cliquetis des gâchettes, les regards crasseux sous l’ombre des chapeaux posés de travers sur des crânes creux et sans scrupules. On reste dans l’égotrip métaphorique, mais on s’en délecte encore une fois.
  1. Bouge la tête
    Les deux MCs marseillais, Shurik’n et Akhenaton, reviennent sur leur découverte du hip hop, leur apprentissage. Un hochement de tête, en rythme, entêtant, iniatique. Le beat accrocheur, le son d’une basse qui fait vibrer les tripes. “J’étais voué à faire de la musique, condamné à placer le son au-delà d’une rhétorique, ainsi, j’ai envers lui une éternelle dette, dont je m’acquitte à chaque fois que je fais bouger les têtes”. Un héritage à transmettre, des choses reçues à son tour à donner. Le rap, le vrai.
  1. Un cri court dans la nuit(feat. Daddy Nuttea)
    Dans le glauque d’une ruelle, la noirceur d’une nuit sans espoir. Faits divers, miroir d’un triste temps, un jeune garçon, une jeune femme, chacun son tour. Le ton grave, le flow posé, sans en faire trop, comme résigné, au bout d’un combat qui semble à ce jour inutile. “Encore un tombe à fleurir, un ange part dans un dernier soupir, un fait divers dans une ruelle, un cri court, personne n’entends l’appel”.
  1. Libère mon imagination
    Un retour, le dos courbé, dans les champs de coton. IAM va puiser son authenticité dans les racines du hip hop, ces inspirations jazzy des chants des esclaves noirs, pas encore américains. “Pour chaque mot gravé, une goutte de sueur de ceux qui sont tombés dans ces champs de malheur”. Le corps asservis mais l’âme vagabond, la liberté au son du charley. Puis un regard lucide sur notre monde contemporain, pas si loin après tout, de ces champs de cotons. “Aujourd’hui sans contrainte, on trime dans les champs de béton”.
  1. Demain c’est loin
    IAM écrit ici, ses lettres de légendes. 9 minutes, le temps pours Shurik’n et Akhenaton de poser les bases du “rap français”. Véritable photographie des quartiers de Marseille, IAM met le doigt sur ce qu’il voit. Cadence lourde, épaisse, sans chichi, c’est le flow cash sur un beat épuré. “On leur apprend que rien ne fait un homme à part les francs”. Ca accroche, ça colle aux oreilles, on rebondit de mots en maux. “Vapeur d’éther, d’eau écarlate, d’alcool, fourgon de la Brink’s maté comme le pactole”. Ca s’écoute, ou se regarde… et ca se finit déjà trop vite.
  1. Independenza (Réédition 1999)
    Morceaux présent sur la réédition Hostile Records de l’album, il y remplace Libère mon imagination. Morceaux agressif, provocateur (en témoigne cette apparition remarquée aux Victoires de la Musique 1999), les MCs, Freeman compris, se lâchent le centralisme des majors, répondant ainsi à l’échec du Coté Obscur. IAM milite pour l’autoproduction, en alternative aux distributeurs classiques, cagoulés, la rage au ventre dans une mise en scène à la Massilia Nazione.
    Le clip de Independenza


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Cet album marque aussi une nouvelle ère dans le business du rap français. Celui des labels indépendants, Coté Obscur pour IAM (lancé suite au succès de l’album) qui sortira de l’ombre la FF ou encore le 3ème Œil, avant de trop vite déchanter, suites à leurs propres maladresses et à la pression de major de plus en plus anxieuse de voir le rap suivre d’autres routes que les leurs (on peut mettre en parallèles la courte histoire du Secteur Ä). Les membres d’IAM reprendrons alors le flambeau un peu plus tard, mais à titre plus individuel avec des infrastructures comme La Cosca ou 361vinyl pour Akhenaton, Sad Hill pour Kheops… Avec des réussites certaines (Psy 4 de la rime par exemple) mais aussi quelques balbutiements. L’expérience Coté Obscur restera malheureusement un éternel regret…

Revenons à nous moutons galeux, L’Ecole Du Micro D’Argent a été enregistré à New York par l’ingé-son Prince Charles Alexander, déjà présent sur Ombre Est Lumière avec le groupe Marseillais, et marque l’âge d’or des productions d’Imhotep, «l’architecte musicale» du groupe. La patte de celui que l’on surnomme Tonton s’impose sur l’ensemble de l’album, avec des intrus riches, métissées, mettant toujours en valeur le MC, jamais trop, sans qu’il ne manque rien. Du brut, du raffiné, la variété des inspirations est immense, nous faisant voyager de sonorités en sonorités. Certains de ces morceaux à succès seront plus tard ré-instrumentalisés afin d’être rejouer par un orchestre, donnant alors la pleine mesure du travail effectué à l’époque (voir le concert du groupe en Egypte).

Un album puissant, faisant référence dans le milieu du rap français, dont la réputation à même dépasser les frontières de l’hexagone, notamment en Allemagne ou il connût un très gros succès. IAM, membre avec Assassin ou encore NTM de la première génération de rappeurs français continue d’inspirer plus d’une nouvelle tête, dans un monde dévoré par le bling-bling et les partenariats Skyrock. On compte de très bons élèves, notamment Tunisiano de Sniper, ou encore en plus proche d’IAM les niçois de Chiens de Pailles.

Site officiel d’IAM
Ecoutez L’Ecole Du Micro D’Argent sur Deezer
Ecoutez L’Ecole Du Micro D’Argent sur Spotify

Article tiré du site « Désinvolt », écrit par , source : http://www.desinvolt.fr/2009/05/15/2-iam-l-cole-du-micro-d-argent/

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